mardi 17 juin 2014

Les archétypes



Avant propos : cet article vient en complément de l'article précédent "Le voyage du héros" et résume le chapitre des archétypes du livre de Christopher Vogler : "Le guide du scénariste".

Introduction

Le psychanalyste Carl Gustav Jung utilise le terme d'archétype pour décrire des personnages types, des symboles et des schémas relationnels universels qui appartiennent à l'héritage commun de l'humanité.
Le concept d'archétype est un élément indispensable à la compréhension des fonctions des personnages. Lorsque vous avez une bonne connaissance de la fonction de l'archétype exprimé par un personnage, vous pouvez mieux estimer si votre personnage pèse bien de tout son poids dans l'histoire.
C'est l'universalité de ces archétypes qui permet l'identification. D'instinct, les écrivains choisissent les personnages et des situations qui reflètent la force des archétypes afin de créer des situations dramatiques reconnaissables par tous.

Avant toute chose, un archétype ne correspond pas à un personnage de l'histoire jouant un rôle spécifique (ou pas forcément). Voyez-le plus comme une fonction que joue un personnage à un moment donné de l'histoire. (Réflexion partagée par Vladimir Propp et principalement détaillée dans son livre Morphologie du conte)

Les archétypes les plus usuels et les plus utiles selon Vogler :
  • Le héros
  • Le mentor
  • Le gardien du seuil
  • Le messager
  • Le personnage protéiforme
  • L'ombre
  • Le trickster
Il en existe beaucoup d'autres (le loup, le chasseur, le prince, la marâtre, etc.) mais ces derniers sont souvent des dérivés de ceux que nous allons voir ici.

Pour chacun des archétypes, nous répondrons à deux questions :
  • Quelle est sa fonction psychologique ?  (Ou quelle facette de la personnalité incarne-t-elle ?)
  • Quelle est sa fonction dramatique ? (Ou fonction dans l'évolution du récit.)

Le héros

La racine du mot grec héros signifie "protéger et servir". Un héros est quelqu'un qui est capable de se sacrifier pour protéger et servir les autres.

Fonction psychologique

En psychologie, l’archétype du héros représente de ce que Freud nomme "le moi". On peut voir un parallèle entre : la séparation du héros à sa mère et la séparation du héros à son monde ordinaire.

L'archétype du héros symbolise la quête du moi pour trouver son identité et l'intégralité de sa personnalité.
Au cours de ce processus qui va faire de nous des être humains à part entière, nous sommes tous des héros qui affrontons des gardes, des monstres ou des gens susceptibles de nous soutenir.

Dans l'exploration de notre propre esprit, nous découvrons, des serviteurs, des boucs-émissaires, des maîtres, des séducteurs, des traîtres et des alliés qui représentent différents aspects de notre personnalité.
Le héros est celui qui saura intégrer, comprendre toutes les facettes de sa personnalité pour devenir, enfin, lui-même.

Fonction dramatique

Le héros est un personnage auquel on peut s'identifier. Comme indiqué précédemment, pour parvenir à cette identification, le héros doit avoir des qualités, caractéristiques à la fois universelles et uniques. Nous devons pouvoir nous retrouver dans ces qualités, ou défauts, ressentir les émotions et les motivations que chacun d'entre nous a éprouvées à un moment dans sa vie. Nous sommes ainsi invités à investir une partie de notre personnalité dans le héros pour la durée de l’expérience.

De plus, si le héros présente une combinaison unique, voir contradictoire de qualités ou besoin cela le rendra plus humain. Et participera de l'identification. Plus les forces et les qualités du personnage sont conflictuelles, mieux c'est : un héros déchiré entre l'amour et le devoir est, par définition, humain et intéressant pour le public.
Les défauts du héros donnent une trajectoire à "l'arc transformationnel" (voir article précédent), dans lequel il évolue d'une situation A à une situation Z en passant par une série d'étapes. Le manque de quelque chose, d'une qualité est souvent un ressort très puissant pour l'identification et l'humanisation du héros.

Le héros a pour fonction d'apprendre, de grandir, de devenir plus sage. C'est le personnage qui subit le plus de transformations au cours de l'histoire. C'est également le personnage le plus actif de l'histoire. Il est moteur par son désir et sa volonté. Agit et réagit grâce à ce qu'il a acquis, ne devient que très rarement passif.

Le héros n'est pas tellement reconnu par sa bravoure ou sa force, mais plus par sa capacité de sacrifice au sens se "rendre saint". Les héros nous montrent comment affronter la "mort" directement ou indirectement.

L'archétype du héros peut se retrouver dans plusieurs personnages du récit. Obi Wan Kenobi est mentor dans la guerre des étoiles puis porte momentanément le masque du héros quand il se sacrifie pour permettre à Luke de s'échapper de l'étoile noire.

Notez qu'il existe plusieurs sortes de héros : le héros volontaire, le héros réticent, l'antihéros, le héros sociable, le héros solitaire, le catalyseur... (Je pourrais les détailler si besoin, n'hésitez pas à me demander.)

Le mentor

L'archétype du mentor représente un personnage positif qui soutient le héros par son aide et ses conseils.

Fonction psychologique

Le mentor représente le SOI. Le SOI accompli est noble et sage, c'est le meilleur de nous-mêmes. C'est aussi la conscience qui nous guide pour faire la distinction entre le bien et le mal.

Le mentor représente les plus hautes aspirations du héros. C'est souvent un ancien héros qui ayant survécu aux premières épreuves transmet à son tour son savoir et sa sagesse. L'archétype du mentor est étroitement lié à l’image des parents. Les héros cherchent souvent un mentor pour remplacer un parent absent ou déficient.

Fonction dramatique

De même qu'apprendre est une fonction inhérente au héros, enseigner est la fonction clé du mentor. Des personnages d'instructeurs, de professeurs, de parents et tout ceux qui dévoilent les ficelles du monde au héros présentent les caractéristique de cet archétype.

Offrir un ou des cadeaux est une fonction importante du mentor. Vladimir Propp l'appelle le "Donateur" ou le "Pourvoyeur". Le héros reçoit de lui un objet ou tout autre enseignement qui l'aide momentanément. La cape d'invisibilité dans Harry Potter par exemple.
Ce cadeau doit être mérité. Souvent le héros aura démontré son implication, subi une petite épreuve ou rendu un service. Par exemple dans les contes de fées, les héros obtiennent l'aide d'animaux ou de créatures parce qu'ils ont été bons avec eux dès le début.

Certains mentor joue le rôle de la conscience des dangers, du bien et du mal du héros que ce dernier peut parfois enfreindre.

Le mentor à pour fonction de motiver le héros, de l'aider a surmonter ses peurs voir de lui botter le fesses pour qu'il s'implique réellement dans l'aventure.

On retrouvera plusieurs types de mentor, le mentor noir, le mentor ancien héros déchu, comique, multiple, intérieur ou encore Chaman.

Garder en tête que comme tous les archétypes que le mentor n'est pas un personnage, mais une fonction qui peut être assumée par plusieurs personnages.

Le gardien du seuil

Tous les héros  rencontrent des obstacles sur la route de l'aventure. Placés à chacun des passages vers un nouveau monde, les gardiens du seuil empêchent d'entrer ceux qui n'en sont pas dignes. Ces gardes se donnent des airs menaçants, mais ils peuvent être vaincus, contournés ou même devenir des alliés.
Les gardiens du seuil ne sont généralement pas les principaux antagonistes, mais leurs sous-fifres, les mercenaires loués pour garder l'accès au quartier général. Ce peut être aussi un élément matériel de l'histoire qui donne du fil à retordre aux héros.

Fonction psychologique

Ces gardiens symbolisent les obstacles que nous affrontons dans notre vie de tous les jours (malchance, préjugés, oppression, hostilité...). Ils peuvent également représenter nos névroses, nos blessures, nos vices, nos dépendances, les limites que nous nous posons et qui empêche notre propre développement. Chaque fois que nous tentons d'opérer un changement radical dans notre vie, ces démons déploient leur force, pas obligatoirement pour arrêter notre élan, mais pour tester notre détermination.

Fonction dramatique

La première fonction dramatique du gardien du seuil consiste à tester le héros sur son chemin.
Ils peuvent revêtir de multiples apparences : gardes-frontières, sentinelles, veilleurs de nuit, bandits, gardes du corps, portiers ou toute autre représentation dont la fonction consiste à bloquer le héros sur son parcours et à tester ses capacités. Apprendre à traiter avec les Gardiens est une des épreuves majeures du voyage. "Vaincre" le gardien du seuil annonce le signe d'un nouveau pouvoir pour le héros.
C'est la première épreuve dans le monde inconnu, la réussite de ce passage (quelle que soit la manière) constitue une pierre de l'édifice du "nouveau héros".

Le héros qui réussit pourra retourner le Gardien du seuil avec lui, s'en faire un allié qui lui rendra service plus tard dans l'aventure.

Le héros apprend à puiser de nouvelles forces dans la résistance du gardien. Alors qu'une attaque de front ne pourrait que l'affaiblir, le héros apprend à pratiquer la philosophie des arts martiaux en retournant la force de l'adversaire contre lui et utilise donc cette résistance qu'il exploite à son avantage. Idéalement, le gardien n'est donc pas vaincu, mais incorporé. Au stade ultime, les héros achevés éprouvent même de la compassion pour leurs ennemis et les surpassent au lieu de les détruire.

Les Gardiens donnent parfois des indices que le héros pourra décrypter pour passer le seuil.

Le messager

Comme les hérauts des romans de chevalerie du Moyen Agen, le Messager est porteur d'un défi que le héros doit relever. Sa présence annonce la venue de grands changements.
Cet archétype est d'une telle nécessité dans la mythologie que les Grecs lui ont dédié un dieu, Hermès : le messager des dieux.

Fonction psychologique

Le messager remplit la fonction psychologique importante d'annoncer la nécessité d'un changement.
Quelque chose en nous sait que nous sommes prêts et nous envoie un Messager sous la forme d'un rêve, d'un personnage, d'un élément (catastrophe naturelle par exemple), d'un coup de téléphone, d'une nouvelle idée etc.

Fonction dramatique

Les messagers suscitent la motivation, offrent un défi au héros et font rebondir l'histoire. Ils avertissent le héros (et le public) de l'arrivée imminente de changement et d'aventure.
L'appel à l'aventure est introduit par un Messager. Mais il peut intervenir à tout autre moment de l'histoire.
Notons que le Messager peut être un personnage positif, négatif ou neutre, allié ou ennemis.

Le personnage protéiforme

Les héros rencontrent fréquemment des personnages qui selon eux, ont pour caractéristique principale de changer constamment. Nous avons tous, un jour, vécu des relations avec un partenaire à deux visages, versatile et déroutant.
D'une loyauté et d'une sincérité souvent douteuse, les personnages protéiformes abusent le héros ou le laissent dans l'expectative. Ils peuvent être alliés, puis ennemis au fil de la narration.

Le Personnage protéiforme est un des archétypes les plus souples. Il remplit un nombre important de fonctions dans les histoires modernes. On le retrouve dans les rapports hommes-femmes, mais il peut êtres très utile dans d'autres situations pour dépeindre des personnages dont l'apparence ou le comportement évoluent pour s'adapter aux besoins de l'histoire.

Fonction psychologique

La fonction psychologique de cet archétype est d'exprimer "l'Animus" ou "l'Anima", pour reprendre les termes de Jung. Il appelle "Animus" l'élément mâle de l'inconscient féminin. L'"Anima" est l'élément correspondant dans l'inconscient masculin. Selon la théorie, tout individu possède à la fois des caractéristiques masculines et féminines qui lui sont nécessaires pour survivre et garder l'équilibre.
L'Animus et l'Anima peuvent aider ou détruire le héros selon leur nature positive ou négative. Dans certains récits, le héros a pour tâche de percevoir quelle est la face positive ou négative qui lui est présentée par le Personnage protéiforme.

Cet archétype est également un catalyseur, le symbole d'un désir intense de transformation. Il comprend toutes les projections de nos contradictions, ces images et ces idées toutes faites que nous avons sur la sexualité et les relations humaines.

Fonction dramatique

Le Personnage protéiforme est là pour susciter le doute et le suspense dans l'histoire.
La femme fatale est un modèle courant de Personnage protéiforme (dans "Basic Instinct" par exemple) mais ce peut être tout aussi bien un personnage masculin.
L'aspect fatal n'est pas essentiel à cet archétype. Les Personnages protéiformes se contenteront parfois de semer la confusion dans l'esprit du héros au lieu de le tuer. Sa versatilité fait naturellement partie de toute romance. Il est banal d'être aveuglé par l'amour et incapable de voir l'autre clairement, au-delà du masque.
Souvent, cet archétype va littéralement changer d'apparence.

Comment les autres archétypes, le Personnage protéiforme remplit une fonction, c'est un masque qui peut être porté par n'importe quel personnage de l'histoire. Ce masque peut être porté par le héros lui-même, pour échapper au Gardien du seuil par exemple.

L'ombre

L'Ombre est un archétype qui représente la force du côté obscur, l'inexprimé, ce qui n'a pas été réalisé, les aspects refoulés de notre personnalité.
L'aspect négatif de l'ombre apparaît dans les personnages de récits tels que les antagonistes, les ennemis ou le héros lui-même.

Fonction psychologique

L'ombre représente le pouvoir des sentiments refoulés. Les traumatismes profonds ou les sentiments de culpabilité peuvent mourir lentement dans le tréfonds de notre inconscient.
Si l'archétype du Gardien du seuil symbolise nos névroses, nous pouvons assimiler celui de l'Ombre à nos psychoses qui non seulement nous embarrassent, mais menace de nous détruire.

Fonction dramatique

La fonction dramatique de l'Ombre consiste à défier le héros et à lui offrir un adversaire de qualité. Les Ombres créent des conflits et menacent la vie du héros, lui permettant ainsi de montrer le meilleur de lui-même. On dit souvent qu'une histoire faut ce que valent ses méchants parce qu'un ennemi puissant oblige le héros à se dépasser. Gardez à l'esprit que le héros peut porter le masque de l'Ombre quand le doute ou la culpabilité le rongent, quand il se détruit souhaite mourir ou au contraire quand il abuse de son pouvoir, grisé par le succès, il devient alors égoïste au lieu de se sacrifier.

Les Ombres peuvent devenir de séduisants Personnages protéiformes pour tromper le héros et le mettre dans une situation dangereuse. Elles peuvent fonctionner en tant que Trickster ou Messagers, elles peuvent même faire preuve de qualités héroïques. Certains méchant qui défendent vaillamment leur cause ou changent de sentiments peuvent alors être pardonnés et devenir des héros comme la bête de "La belle et la bête".

Il n'est pas nécessaire que les Ombres soient totalement méchantes ou diaboliques, une touche de bonté ou quelques qualités sont même préférables pour les rendre plus humaines.
N'oubliez pas que les Ombres sont en fait les héros de leurs propres histoires, les Ombres ne se voient pas comme méchantes ou injustes. Elles ont leurs logiques, leurs passés et leurs objectifs.

Le trickster

Le personnage du Trickster incarne l'énergie de la ruse et de la dissimulation et le désir de changement qui en résulte. Nous le retrouvons dans les récits incarnés par des clowns ou des mauvais plaisants.
Fonction psychologique

Les Tricksters remplissent plusieurs fonctions psychologiques très importantes. Ils remettent les egos surdimensionnés à leur place et poussent les héros et le public à garder les pieds sur terre. Grâce aux rires spontanés qu'ils provoquent, ils nous aident à comprendre nos entraves et attirent l'attention sur la folie ou l'hypocrisie. Par-dessus tout, ils entraînent des transformations et des changements sains, souvent en attirant notre attention sur un déséquilibre ou l'absurdité d'une situation psychologiquement bloquée.
Les Tricksters s'expriment souvent au travers d'incidents burlesques ou de lapsus révélateurs qui nous alertent sur la nécessité du changement.

Fonction dramatique

Dans les drames, les Tricksters remplissent toutes ces fonctions psychologiques auxquelles s'ajoute une fonction dramatique, celle du soulagement par le comique. Les tensions qui n'ont pas été soulagées, le suspense et les conflits épuisent affectivement le public. Même, les drames les plus affreux ont besoin d'un moment comique pour ranimer l'intérêt des spectateurs. Une vielle règle du drame met en évidence ce besoin d'équilibre : "faites-les beaucoup pleurer, faites-les un peu rire".

Le Trickster est malin, il est capable d'éviter tout les pièges qui s'offrent à lui. Parfois plus, agile que le héros lui-même. Bugs Bunny est un exemple de Trickster célèbre. Face à lui les chasseurs ou autres prédateurs non aucune chance...
Noter que le Trickster peut se faire berner à son tour occasionnellement, comme dans "le lièvre et la tortue".
Les Tricksters agissent en catalyseurs, ils affectent la vie des autres  sans être atteints eux-mêmes.

Conclusion

Les archétypes permettent aux personnages une grande souplesse de langage. Ils aident à mieux comprendre la fonction jouée par un personnage à un moment donné de l'histoire. Prendre conscience des archétypes aide l'écrivain à se libérer des stéréotypes et lui permet de donner une meilleure profondeur psychologique et une plus grande véracité à ses personnages. Les archétypes peuvent être utilisés pour construire un personnage qui sera à la fois un individu unique et le symbole universel de l'ensemble des défauts et qualités humaines. Nos récits acquièrent un climat psychologique plus proche de la réalité, selon la sagesse des mythes anciens.

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